- FREYJA
- FREYJAFREYJADans la mythologie du Nord, la déesse Freyja occupe une place centrale, mais il est difficile de cerner exactement sa personnalité: son caractère licencieux explique que les commentateurs du Moyen Âge, qui constituent nos sources principales et qui étaient chrétiens, se soient montrés discrets. De plus, pour des raisons philologiques évidentes, elle est souvent confondue avec Frigg, si bien qu’il n’est pas aisé de faire le départ entre ce qui lui revient en propre et ce qui appartiendrait à l’épouse d’Ódhinn.Appelée Vanadís (Dise — une divinité tutélaire, ressortissant à la fécondité-fertilité — des Vanes) ou Vanabrudh (Fiancée des Vanes), elle est une divinité vane par excellence; et, comme l’on tient que cette catégorie de dieux du Nord est d’origine nettement orientale, nombre de ses attributs se trouvent éclairés par là: elle se déplace dans un char tiré par des chats, comme Cybèle avec ses panthères, et elle pleure, avec des larmes d’or, son mari qui périodiquement disparaît pendant si longtemps qu’on le croit mort, comme Isis. Déesse vane, elle a pu reprendre, à une époque assez récente, le rôle de son prétendu père, Njördhr, d’autant que ce dernier, s’il n’est pas initialement hermaphrodite, a pu être vénéré d’abord sous sa forme féminine: la Nerthus de Tacite. Ou bien, mais c’est la même chose, on peut la tenir pour l’aspect féminin d’une divinité androgyne dont le côté masculin serait assumé par Freyr.Son existence et sa personnalité importent à l’historien des religions, car elles lui permettent, peut-être, de proposer une interprétation synthétique satisfaisante de la complexe mythologie du Nord. Celle-ci, en effet, à travers les élaborations hautement poétiques et savantes que nous en donnent les deux Eddas — la poétique et celle, en prose, de Snorri Sturluson —, atteste une sorte de conflit permanent, ou d’hésitation, entre culte de la force, de l’énergie, de l’action (la fonction guerrière, si l’on veut) et respect de la magie, de la science sacrée, qui relève de la fécondité-fertilité. Un dieu qui paraît martial, tel Thórr, assure la fécondité des mariages; un autre, que l’on pourrait croire exclusivement intelligent et rusé, tel Ódhinn, préside aussi à la guerre. Or un texte surprenant de l’Edda précise que Freyja et Ódhinn se partagent à égalité les morts; et de multiples sources attestent que la maîtresse suprême du grand art magique nordique (dont l’exécution présente de frappants caractères chamanistes), le sejdhr , est Freyja. Le sejdhr, tel qu’on peut le connaître, a pour première fonction de prédire et, éventuellement, de provoquer la fertilité des saisons à venir et la paix.Un point doit ici retenir l’attention. Il est dit que Freyr a épousé une déité inconnue, Ódhr, dont le nom mérite l’analyse. D’une part, ce nom présente une alternance philologique, attestée ailleurs dans le Nord, avec Ódhinn (Ódhr-Ódhinn, comme Ullr-Ullinn) et, à ce titre, renvoie aux très nombreuses paires de représentations mythologiques qu’a connues cette région: elles pourraient toutes remonter à une conception initiale de divinités-dioscures qui trouveraient leur explication ultime dans un culte solaire attesté dès l’âge du bronze scandinave (\FREYJA 1500 à \FREYJA 400) et où le rôle éventuel des dieux serait de tirer le soleil selon une alternance diurne-nocturne (ou printanière-hivernale), cheval-bateau (ou oiseau-bateau). D’autre part, Ódhr signifie proprement «furieux, saisi du furor sacré», qu’il s’agisse de fureur guerrière, amoureuse, poétique ou magique. Une affabulation récente donne au couple deux enfants, Hnoss et Gersimi, dont les noms signifient «joyau» et «trésor». Mais l’idée même qui s’attache au couple divin Freyja-Ódhr (ou Freyja-Freyr) est sans aucun doute fort ancienne, comme en témoignent les nombreux toponymes voués à Freyja.Lorsqu’elle paraît en pleine lumière, elle est avant tout donnée pour déesse de l’amour, de la volupté, avec son animal favori, le verrat Hildisvinn (mais le nom de celui-ci: Porc de la Bataille, nous replonge dans l’ambiguïté dont nous sommes partis) et son collier Brísingamen. Un poème de l’Edda , le Lokasenna , l’accuse d’inceste. Maîtresse de la fécondité, elle apparaît mieux comme telle sous le nom de son hypostase Gefn (où entre une idée de don) ou Gefjón, déesse tutélaire de la Zélande, au Danemark.Et pourtant, l’un de ses attributs est aussi sa forme de faucon, qu’elle peut revêtir pour circuler d’un monde à l’autre, et qu’elle consent même parfois à prêter à d’autres dieux pour le même office. Cela nous renvoie aux walkyries, également dotées de formes d’oiseaux (de cygnes en général) et donc à Ódhinn, une fois encore, maître des destinées par l’intermédiaire de ses messagères. D’ailleurs, Ódhinn est également donné pour le magicien suprême.La solution, dans des pays au climat rude, où l’énergie est indispensable à la conservation de la vie et où les dons du soleil sont plus précieux qu’ailleurs, pourrait se trouver dans cette ambivalence même. L’antagonisme de la vie et de la mort est en ces régions certainement plus accusé et plus immédiatement perceptible qu’ailleurs. Repos et action, amour et lutte s’y tiennent dans des rapports d’interdépendance plus directs, tandis que la méditation et la contemplation n’y sont guère de mise. Il faut agir, vite, prévoir et savoir, d’urgence. Ainsi la magie, qui est une forme de culte éminemment dynamique et qui, dans le Nord, est toute tendue vers l’avenir proche ou lointain, et le culte des morts, dépositaires de la sagesse, garants de la fécondité et protecteurs du clan, jouent ici certainement un rôle essentiel. Magie et culte des morts sont du reste étroitement liés, le propre du sejdhr étant le plus souvent de susciter un défunt ou une défunte pour les faire parler.Or Freyja est à la fois la grande magicienne et la souveraine des morts (à égalité avec Ódhinn). Elle est donc au centre d’une vision du monde dont on peut dire que l’essence était de savoir pour pouvoir.
Encyclopédie Universelle. 2012.